Antoine AGOUDJIAN
"Le cri du silence"
"Le chant des images"
A la vue des images de Antoine Agoudjian, on ne peut s’empêcher de se remémorer cette division schématique, bien que probante, entre photographie expressionniste instantanée et photographie conceptuelle; la première imposant son contenu émotionnel qui nous saisit, quand la seconde « performative » allie réflexion et recul qui nous positionnent face aux images.
L’oeuvre d’Agoudjian bien que visuelle, se présente comme un chant, au sens des récits homériques, une petite musique intérieure qui réveille le lyrisme présent dans l’imaginaire de chacun. Un chant presque antique revenu des profondeurs de la mémoire des peuples. Ce peuple d’Arménie, qui révèle ici cette mythologie originelle et profonde de l’aventure humaine extraite de la terre, de cet extrême Orient berceau des civilisations occidentales.
Et paradoxalement, l’artiste envahi par cette mélopée, déroulée d’images en images depuis vingt sept années, la nomme : cri du silence, mettant l’accent sur la mutité de la photographie.
Le silence de ces images, comme des notes musicales sur une portée aveugle, accompagne ce chant intérieur, ici travesti de noirs profonds, contrastes vivants qui exhument les morts de ce peuple martyr du vingtième siècle.
Les détails y surgissent de l’ombre, nous sautent presque aux yeux et abondent comme ces oiseaux de la nuit qui tournoient autour d’un monastère. Tous ces visages intenses sortis du noir exsudent la foi religieuse de ces hommes et ces femmes hantés par la tragédie, mais aussi par la joie instantanée de vivre ponctuée par les danses et les jeux.
Le clair obscur y baigne ces scènes, traversées par des lumières irisées, les édifiant en tableaux classiques, qui évoquent Rembrandt, et les pietas de la Renaissance, ou Goya et Delacroix avec leurs cieux agités.
Tout est vibration dans cette oeuvre, celle de cette vie qui palpite dans ces âmes parfois dévotes, toujours illuminées. La vision grand angulaire en contre plongée renforce cette impression en accentuant les perspectives, qui se rejoignent au sommet de ces dômes auréolés de lumière.
Et cet univers se répète dans chaque photographie, centrée sur des punctums puissants et unificateurs du regard. Et chacune trace une histoire qu’Agoudjian emporté par son lyrisme ne daigne pas légender, comme si la contextualisation historique n’était pas du ressort de cette symphonie mythique mais de l’évocation poétique.
Ce chant, ce cri vibrant à l’unisson, relèguent l’écriture et le discours vers d’autres horizons. A la rigueur naissent ça et là une histoire, un conte dans ces couleurs saturées, qui font figures de mots, relayées par l’imaginaire qui flamboie à leur contact de cet éclat sensible mais muet.
C’est tout un tableau de la société millénaire, exhumé des cimetières de l’Histoire; où rarement la mémoire d’un peuple ne s’était trouvée un aussi bel interprète pour la sauvegarder de l’oubli.
Gilles Verneret